Pourquoi écris-tu ?
Tu as déjà écrit pourquoi tu écris. Tu n’as pas besoin d’écrire ce texte ; tu n’as même pas besoin de l’envoyer. Tu te dis, cela vient, léger et fluide. Tu suis juste l’élan. C’est faux, avoue. Tu regardes le trèfle à quatre feuilles dans ta trousse. Tu écris dans l’espoir d’être vue. C’est cela que tu cherches.
Tu n’écris plus. Tu marches et tu soupires. Tu transpires, tu manques d’encre et de solitude. De livres. Sous ton crâne, une tempête.
Tu reviens avec un lac au milieu d’une forêt.
Pourquoi écris-tu ?
Tu ne peux pas t’empêcher. Tu achètes des carnets, tu aimes leur odeur ; tu achètes des crayons, ce sont de beaux objets. Tu libères la pointe du capuchon et te voilà devant une feuille, comme une promesse. La rêverie ouvre aux mots, tu les offres à la feuille. Tu écris des lettres à des personnes dont tu as oublié l’adresse, avec lesquelles un dialogue se poursuit la nuit. Ton remède à l’insomnie. Tu écris à ceux que tu aimes, à ceux que tu n’aimes pas, aux inconnus, aux morts, avec tes ancêtres, ce que tu n’as pas osé, pas eu le temps ; c’est ta façon de réconcilier les fantômes et les vivants. Tu écris avec ceux qui n’ont pas de voix. Tu écris ce que tu ne peux taire.
Pourquoi écris-tu ?
Tu ne sais ni dessiner ni peindre. Avec les mots, tu crées des couleurs, des vibrations, des paysages, comme d’autres font des enfants. Tu sens remuer dans ton ventre et tu accouches d’une histoire. Ces textes sont imprévisibles. Ils te consolent des fois où tu cafouilles, des fois où tu bredouilles. Ils racontent après le silence. Ils protègent de l’oubli les doutes, les lueurs, les palpitations.
Pourquoi écris-tu ?
Parler t’épuise, parler te perd ; écrire t’organise. Tu écris sans ordre et sans cohérence. Avant la phrase et la ponctuation. Des pensées floues s’entrechoquent. Parfois, de ce flot jaillit un bateau et un matelot. Tu noircis des carnets depuis vingt ans ; la dernière feuille écrite, tu les empiles dans des boîtes. Tu ne les jettes pas ; le papier est précieux, il sent le bois.
Pourquoi écris-tu ?
Tu écris parce que tu lis, tu lis parce que tu écris. Tu écris la nuit, le matin, beaucoup l’été, peu l’hiver. Ou l’inverse. Dans ta tête, sur un papier, un chiffon. A la craie sur les dalles du jardin des poèmes que seuls les insectes entendent.
Tu as écrit les émotions coincées dans ta gorge. Pour résoudre des énigmes. Pour apprivoiser une vague. Tu as écrit pour reposer le corps, te concentrer.
Tu as écrit les murmures immenses et les cris minuscules. Tu as écrit pour te rappeler, tracer ce que tu connais un peu est déjà un peu. Les personnages qui gesticulent sous ta peau. Ces vies secrètes, celles à venir et celles que tu ne vivras pas, tu n’as qu’un corps.
Pourquoi écris-tu ?
Tu écris pour ne pas affoler le temps, remuer l’instant avec la langue et le relâcher, au suivant. Si tu ne gardes rien, tu utilises tout. Tantôt tu écoutes à l’intérieur des contours, tantôt tu observes à l’extérieur. Assise à ta table, un crayon dans la main c’est paisible même dans le tumulte. L’écriture précède l’expérience ou la suit, accueille tes mensonges. Elle offre une maison à ta pensée. Ecrivain est un état. Écrire est un mouvement, il pétille.
Pourquoi écris-tu ?