Au tout début, une voix.

Elle existe avant l’alphabet. Elle naît dans un cri, grandit en syllabe et en mots. Elle est le corps qui partage du sens. Son souffle bouscule les pierres et penchent les herbes dans la plaine. Son écho rebondit entre les montagnes et remue les forêts. Elle crée l’écriture. Pratique pour compter les récoltes, conserver la mémoire, ordonner le temps et les humains ensemble. La nuit autour du feu, elle se tourne vers le ciel, honore la vie des dieux et des déesses.

Le temps avance.

Elle rencontre l’encre et le papier, suit les saisons, la religion et le roi. Celle des clercs écrit en latin dans des livres rares. Des rois se succèdent, comme les guerres. Je ne dirai pas leurs noms, une guerre est une guerre. C’est toujours se battre pour ou contre un dieu, un territoire, un peuple. C’est toujours des armes, du sang, des morts et des larmes. La voix écrit dans une langue, ancêtre de notre langue, les engagements des soldats. Celle des troubadours chante les exploits des chevaliers et leurs amours. Des histoires de héros, de quête, pleine de péripéties. De foire en foire, de bouches à oreilles, les histoires voyagent et se transforment au gré de l’imagination. Personne ne connait la voix origine.

Le temps avance.

La voix regarde moins le ciel. Curieuse et avide de connaissances, elle s’intéresse au corps et à la raison. Grâce à l’imprimerie, elle habite dans un livre. Sa langue devient notre langue. L’amour et les découvertes de terres et de peuples inconnus attirent des lecteurs. La voix des penseurs éduque, aide à s’épanouir et à prendre ses responsabilités.

Le temps avance.

La grammaire et l’orthographe fixe la langue. La voix déborde de fantaisie ; elle veut plaire et instruire. Celle des comtesses et celle des ducs continuent de célébrer la passion amoureuse. Celle des philosophes aime débattre la pensée. La voix écrit sous forme de mémoires ou de lettres et pose sa signature après le point final.

Le temps avance.

S’appuyant sur l’imaginaire et l’expérience, la voix réfléchit. Elle lutte contre l’ignorance et l’injustice, combat toute forme d’oppression et d’intolérance. Elle dénonce les manipulations des séducteurs. Elle prend corps sous forme de dialogues, de correspondances, de conte philosophique, de dictionnaire pendant que sa langue continue de s’unifier et de s’enrichir. Elle circule mieux sur les routes qui serpentent entre villes et campagnes. Dans les librairies, les livres se multiplient. La censure enferme en prison la voix de ceux qui osent la critique. Le lecteur n’est plus sujet du roi, il devient citoyen.

Le temps avance.

Le progrès galopant investit la médecine, l’industrie, l’éducation. La puissance des nobles recule, celle des bourgeois s’accroît. La voix reflète le réel. Elle se faufile dans les rues et se promène sur les chemins. Elle frappe à la porte des marchands, des ouvriers et des paysans. Ils lisent ses feuilletons dans les journaux. La voix témoigne de la vie des travailleurs et des ambitieux. Elle dénonce et s’engage. Elle écrit sur la voix, sur les sentiments et les émotions. Elle préfère la passion à la raison. Avec son livre, elle entre dans une maison d’édition. Critiques et prix littéraires rythment sa vie.

Le temps avance.

La voix s’assied sur les bancs d’écoles gratuites et obligatoires. Elle rêve, s’évade ou témoigne. Celle des écrivains se mêle à celle des peintres dans les cafés. Elle explore le hasard, la folie, encore et toujours l’amour, l’absurde de l’existence. Elle s’engage avec ses héros au coeur de la société, du politique et de la guerre. La voix mélange les manières de l’oral et de l’écrit, ajoute des mots venus du pays voisin. Les livres se consomment. Les collections et les formats se multiplient.

Le temps avance.

La voix, avec le numérique, appartient à toutes et à tous. Le livre devient écran. La voix de la nuit des temps rencontre celle de la machine. S’accorderont-elles ?

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